Changer sa vie... Se changer...
Peut-on vraiment changer sa vie? Il faut d'abord s'interroger aussi sur
les résistances personnelles au changement et sur les étranges
répétitions des mêmes scénarios de conduite tout au long de sa vie.
Tout le monde ...
...en a envie, un
jour ou l'autre - mais certains seulement passent à l'acte. Pourquoi ?
Comment ? Trois livres - tous trois sortis le même mois - abordent ce
sujet sous des angles différents. Luce Janin-Devillars, psychanalyste,
met l'accent sur les résistances au changement (1). Jean Cottraux, spécialiste de thérapies comportementale et cognitive, montre comment détecter et modifier les « scénarios de vie »
(2). Willy Pasini, psychothérapeute, et Donata Francescato, psychologue, font une place au changement social (3) ; leur livre est le seul à présenter différents modèles de thérapie, tous illustrés d'exemples.
Des trois ouvrages, il ressort que changer sa vie et se
changer soi-même sont des approches très voisines, car l'une retentit
sur l'autre.
Désir de changement
L. Janin-Devillars distingue le « besoin de changer » de « l'envie de changer ». Le « besoin de changer »
répond à une motivation négative : se soustraire à une situation qu'on
ne supporte plus, quitter un partenaire, un travail qu'on n'aime plus...
Le besoin de se changer, lui, apparaît souvent dans un second temps :
lorsque celui qui souffre de sa situation se rend compte que c'est sa
propre personnalité qui l'y a conduit et/ou l'y tient enfermé. Il en est
ainsi dans les « scénarios de vie » dont J. Cottraux dresse une
liste : conflits à répétition avec les autres, choix répétés de
partenaires insatisfaisants, incapacité de prendre une décision,
accidents à répétition...
L'« envie de changer » répond à une motivation positive : aller vers un autre ou un ailleurs qui attire. Elle progresse sourdement, « elle hante les rêves nocturnes, les fantasmes éveillés »,
selon l'expression de L. Janin-Devillars - ou elle apparaît
brutalement : révélation religieuse, coup de foudre... Un coup de foudre
qui n'est pas seulement amoureux : on peut en avoir pour un endroit ou
pour une occupation. Ainsi, Edith accepte de remplacer, pendant ses
vacances, un ami cuisinier qui s'est cassé le bras ; cela lui plaît
beaucoup plus que son travail de cadre d'entreprise ; alors, elle
démissionne et s'achète un restaurant.
Disons enfin un mot du changement compulsif, dont le « complexe de Don Juan »
constitue un bon exemple : Don Juan quitte Julie pour aller vers
Catherine parce que Catherine est nouvelle dans sa vie ; s'il l'avait
rencontrée en premier, c'est elle qu'il quitterait pour Julie. D'autres
drogués du changement vont de pays en pays, d'appartement en
appartement...
Les obstacles matériels existent, bien sûr : manque
d'argent, de temps, du diplôme requis... Nos trois ouvrages ne font que
les mentionner pour s'attarder sur des obstacles plus difficiles à
franchir, parce que nous n'avons souvent pas même conscience de leur
existence.
Ces barrages internes, L. Janin-Devillars les appelle « résistances »; J. Cottraux, « schémas cognitifs »; W. Pasini, « prisons internes »
- appellations différentes pour des réalités très voisines. Ils se sont
mis en place dès l'enfance, en général, à cause de la façon dont nous
avons été traités, des modèles parentaux dont nous nous sommes
imprégnés, des valeurs familiales que nous avons intériorisées. Ils se
sont transformés en croyances qui guident nos actes sans que nous nous
en rendions compte, tant ils nous paraissent évidents : « une femme ne doit pas chercher à dépasser les hommes », « un homme ne doit pas se montrer faible », « je ne mérite pas d'être aimé(e) », « je suis « nul(le) »...
Ainsi, Stéphane s'accroche à des femmes qui le rejettent parce qu'il
s'est senti rejeté par sa mère, et ne se croit donc pas « aimable ».
Les barrages internes au changement sont souvent ignorés
de nous - parce que notre inconscient use de ruse pour nous les cacher.
Le camouflage le plus fréquent est la rationalisation : on se donne des
explications rationnelles. Anna vit seule à 35 ans ; elle aimerait se
marier, elle envisage même de recourir à une agence matrimoniale - mais
elle se trouve de bonnes raisons pour reculer sa démarche : dans son
entreprise, il n'y a que des hommes, elle perdra toute autorité sur eux
s'ils la voient enceinte ; dans ces agences, il n'y a que des escrocs...
Ainsi parvient-elle à se dissimuler sa peur des hommes. La
rationalisation marche d'autant mieux qu'elle s'auto-entretient,
notamment grâce à l'attention sélective : une personne qui justifie sa
méfiance perpétuelle en clamant qu'il y a des voleurs partout ne verra
pas les gens honnêtes, mais seulement les autres, dont chacun, en
s'ajoutant à sa liste noire, la renforcera dans sa conviction qu'elle a
raison de se méfier !
La peur du changement n'est pas toujours déraisonnable,
tant s'en faut. Tout changement comporte un risque, et a un coût ; il
est donc normal d'hésiter, de peser le pour et le contre. Mais si le
bilan de cet examen est positif, et que nous n'arrivons pas à changer,
et surtout, si c'est là un scénario à répétition, mieux vaut admettre
que la peur raisonnable camoufle des craintes irrationnelles, dont nous
avons intérêt à rechercher les racines.
La première condition, pour changer, c'est de le vouloir
vraiment. Nous rêvons tous, un jour ou l'autre, de changer notre vie,
comme l'écrit Jean de La Fontaine dans La Laitière et le Pot au lait : « Quel esprit ne bat la campagne ? Qui ne fait châteaux en Espagne ? »
Il n'y a pas de mal à cela... à condition de ne pas nous duper
nous-mêmes. Cela arrive parfois : à force de rêver d'un changement de
vie, de peaufiner en pensée son projet, on finit par se persuader que
cela vaut réalisation, alors même qu'on n'a entrepris aucune démarche.
Voilà pourquoi une Américaine, créatrice d'un séminaire pour aider les
gens à réaliser leur rêve, avait imposé aux participants de faire un pas
dans le sens de la réalisation après chaque séance, fût-ce un tout
petit pas, tel qu'un coup de téléphone. Le changement est action avant
tout.
Vouloir vraiment changer est donc nécessaire, mais
est-ce suffisant ? Non, dans les cas où un barrage intérieur fait
obstacle, répondent à la fois J. Cottraux et W. Pasini : le recours à
une thérapie sera souvent nécessaire pour comprendre d'où vient
l'obstacle, et pour le franchir. J. Cottraux présente en détail la
thérapie cognitive, qui s'attache, non à explorer le passé, mais à
modifier les comportements et les représentations mentales ; W. Pasini
décrit plusieurs types de thérapie, toujours illustrés d'exemples :
psychanalyse, thérapie comportementale et cognitive, thérapie
systémique, thérapies corporelles comme la bioénergie...
Bien entendu, nos quatre auteurs admettent qu'une
thérapie n'est pas toujours nécessaire. J. Cottraux indique même une
marche à suivre aux candidats au changement personnel. Mais il s'adresse
à ceux qui veulent changer leur vie, non à ceux qui veulent se changer
eux-mêmes.
Un bon moyen d'évoluer dans le sens que l'on désire est
de choisir un environnement, au sens large - cadre de vie, métier,
loisirs, amis - qui vous y pousse. Ainsi, Nicole et Jean, un jeune
couple, se découvrent du goût pour la décoration, une passion commune
pour la brocante, bref, ils découvrent un nouvel art de vivre après
avoir quitté leur ancien appartement et acheté une maison : « Avec l'achat de la maison, notre regard a changé, nous nous sentons plus intelligents, plus cultivés. » Leur exemple montre qu'un simple déménagement peut modifier le style de vie, la confiance en soi. A fortiori
est-ce vrai pour un rôle, familial ou social. Aucun de nos ouvrages ne
signale combien le rôle peut influer sur la personne ; et pourtant, on
en connaît maints exemples historiques. Le plus célèbre, plusieurs fois
porté sur la scène ou à l'écran, est celui de Thomas Becket. On connaît
l'histoire : le roi Henri II d'Angleterre, lassé de se heurter à
l'opposition de l'Eglise, destitue l'archevêque de Canterbury et le
remplace par son ami T. Becket, un jeune homme cynique, aux moeurs
corrompues. Il en espère un soutien total. Or, une fois archevêque, T.
Becket adopte des moeurs austères et défend si bien les droits de
l'Eglise contre le roi que celui-ci le fait assassiner en 1170...
Vivre avec le changement
Jean-Claude, après avoir tout fait pour épouser la femme
qu'il aime, sabote son propre succès. Il découvre qu'il se sent
coupable d'avoir réussi en brisant deux familles, la sienne et celle de
sa maîtresse. Un sentiment que l'on rencontre fréquemment chez les gens
d'origine modeste qui ont fait un bond en avant sur l'échelle sociale,
ou chez les enfants d'immigrés qui s'intègrent à la société d'accueil :
ils supportent mal l'écart qui s'est creusé entre leur famille et eux.
Changer ne suffit pas ; encore faut-il « accepter le changement »,
comme l'écrit L. Janin-Devillars. Cela ne va pas de soi. Changer, c'est
faire le deuil de ce que l'on quitte : son enfance, des camarades de
travail... C'est aussi prendre le risque d'un pari sur l'avenir. D'où un
trait de personnalité important à prendre en compte si l'on envisage de
bouleverser sa vie : l'aptitude à rebondir après un échec. Ceux que le
moindre revers abat et prive de confiance en eux-mêmes feraient bien d'y
regarder à deux fois avant d'agir - ou alors, de commencer par changer
leur réaction à l'échec !
Mais on a aussi le droit de ne pas vouloir changer !
Notre époque valorise tellement la mobilité, l'ambition, le goût de la
nouveauté qu'il n'est pas inutile de souligner, comme le fait L.
Janin-Devillars, que « le statu quo, la continuité, lorsqu'ils
nous conviennent, ne nous relèguent pas forcément au musée, section
arts et traditions du passé »...
Publié par Dajaltosa - Claudie Bert - Science humaine.com
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