Les vertus du silence
(ndlr) - Un sage disait "nous pourrions nous isoler au coeur de la plus profonde des contrées que nous ne parviendrions pas quand même à nous libérer de nos distractions sans le silence". Le silence est le remède et c'est bien autre chose plus clair et plus profond ...
Méditation: la méthode de base
Ajahn Brahmavamso
Traduction française de Phra Asekho
Le but de la méditation
Le but, dans cette
méditation, c’est la beauté du silence, du calme et de la clarté d’esprit.
La méditation, c’est le
moyen de parvenir au lâcher prise. Dans la méditation, on lâche prise du monde
extérieur, complexe, pour atteindre le monde intérieur, serein. Dans tous les
types de mysticisme, ainsi que dans de nombreuses traditions, ceci est connu
comme la voie vers l’esprit pur et puissant. L’expérience de cet esprit pur et
libéré du monde est merveilleuse et heureuse.
Pendant cette retraite, il
y aura du travail difficile à faire au début, mais consentez à endurer la
difficulté du travail, vous rappelant qu’il vous fera vivre des états très
beaux et significatifs. Ils en vaudront bien la peine ! C’est une loi de la
nature que sans effort on ne progresse pas. Qu’on soit laïque ou moine, on
n’arrive nulle part sans effort, qu’il s’agisse de la méditation ou de
n’importe quoi d’autre.
Pourtant l’effort seul ne
suffit pas. Il doit être appliqué astucieusement. Cela signifie diriger votre
énergie juste aux bons endroits et l’y maintenir jusqu’à ce que la tâche soit
accomplie. Un effort appliqué avec astuce n’est ni gênant ni dérangeant, et il
produit cette belle paix de la méditation profonde.
Pour savoir où diriger
votre effort, il vous faut comprendre clairement le but de la méditation. Le
but de la méditation, c’est la beauté du silence, du calme et de la clarté
d’esprit. Si vous parvenez à comprendre ce but, alors le lieu d’application
de votre effort et le moyen d’atteindre le but deviennent très clairs.
L’effort est dirigé vers
le lâcher prise, vers le développement d’un esprit qui tend à l’abandon. Une
des nombreuses déclarations simples mais profondes du Bouddha est « qu’une
personne qui médite, dont l’esprit tend à l’abandon, atteint sāmadhi facilement
» (précisément le but de la méditation). Une telle personne obtient ces
états de béatitude presque automatiquement. Ce que disait le Bouddha c’est que
la principale cause de la méditation profonde, pour atteindre ces états
puissants, c’est la volonté d’abandon, de lâcher prise et de renoncement.
Pendant cette retraite de méditation, ce n’est pas l’esprit qui accumule et
s’accroche aux choses que nous allons développer, mais plutôt l’esprit qui consent
à lâcher prise, à poser les fardeaux. En dehors de la méditation, nous devons
porter le fardeau de nombreux devoirs, comme autant de lourdes valises, mais
pendant la période de méditation tous ces bagages ne sont pas nécessaires.
Pendant la méditation, voyez donc si vous pouvez décharger autant de bagages
que possible. Considérez ces choses comme des fardeaux, de lourds fardeaux qui
vous pèsent. Ce sera alors l’attitude correcte pour lâcher prise de ces choses,
les abandonner librement, sans vous retourner. Cet effort, cette attitude, ce
mouvement de l’esprit qui tend à l’abandon, c’est ce qui va vous mener à la
méditation profonde. Dès les premières étapes de cette retraite, voyez si vous
parvenez à générer cette énergie de renoncement, la volonté de donner et, petit
à petit, le lâcher prise se fera. A mesure que vous abandonnez les choses dans
l’esprit, vous vous sentirez beaucoup plus léger, délesté et libre. Dans la
voie de la méditation, cet abandon des choses se fait par étapes, pas à pas.
Vous pouvez franchir les
étapes initiales rapidement si vous le désirez, mais si c’est le cas, faites
très attention. Parfois, en franchissant les étapes initiales trop vite, on
trouve que le travail de préparation n’a pas été accompli. C’est comme essayer
de construire une villa sur des fondations faibles et posées à la va-vite. La
structure grimpe très vite, mais elle retombe très vite aussi ! Vous seriez
donc sages de passer beaucoup de temps sur les fondations, et sur le «
rez-de-chaussée » aussi, en accomplissant un bon travail de base, solide et
ferme. Ensuite lorsque vous procéderez aux étages supérieurs, les états
méditatifs de félicité eux aussi seront solides et fermes.
Dans la méthode que
j’emploie pour enseigner la méditation, j’aime bien commencer par l’étape toute
simple d’abandonner les bagages du passé et du futur. Vous pourriez être
tentés de croire que c’est quelque chose de très facile à faire, que c’est trop
fondamental. Si toutefois vous prenez tout votre temps, si vous ne vous
précipitez pas aux étapes ultérieures de la méditation sans avoir correctement
atteint le premier but qu’est l’attention maintenue sur le moment présent,
vous trouverez plus tard que vous aurez établi une fondation très solide sur
laquelle bâtir les étapes suivantes.
Abandonner le
passé
signifie ne même pas penser à votre travail, votre
famille, vos engagements,
vos responsabilités, votre histoire, les bonnes et mauvaises
périodes de votre
enfance... Vous abandonnez toute expérience passée en
n’y accordant absolument
aucun intérêt. Vous devenez quelqu’un qui n’a
aucune histoire pendant la
période consacrée à la méditation. Vous ne
pensez même pas à l’endroit d’où
vous venez, où vous êtes né, qui étaient vos
parents ou ce qu’a été votre
éducation. Toute cette histoire, on y renonce dans la
méditation. De cette
façon, tout le monde en retraite ici se trouve sur le même
pied d’égalité,
simplement quelqu’un qui médite. Ça perd de son
importance de savoir depuis
combien d’années vous méditez, si vous avez de
l’expérience ou si vous êtes
débutant. Si vous pouvez abandonner toute cette histoire, nous
sommes alors
tous égaux et libres. Nous nous libérons de certaines de
ces préoccupations, de
ces perceptions et de ces pensées qui nous limitent et nous
empêchent de
développer la paix née du lâcher prise. Donc au
bout du compte, vous lâchez
prise de chaque « partie » de votre histoire, même
l’histoire de ce qui vous
est arrivé jusqu’ici pendant cette retraite, même le
souvenir de ce qui vous
est arrivé il y a un instant encore ! De cette manière
vous ne transportez
aucun fardeau du passé dans le présent. Quoi qu’il
vienne d’arriver, vous ne
vous y intéressez plus et vous lâchez prise. Vous ne
permettez pas au passé de
se réverbérer dans votre esprit.
Je décris ceci comme
transformer l’esprit en cellule insonorisée. Quelle que soit l’expérience, la
perception ou la pensée qui entre en contact avec la paroi de la « cellule
insonorisée », elle ne rebondit pas. Elle est simplement absorbée par le
rembourrage et s’arrête là. Ainsi, nous ne permettons pas au passé de faire
écho dans notre conscience, en tout cas pas à ce qu’il s’est passé hier et
auparavant, parce que nous cherchons à développer un esprit enclin au lâcher
prise, à l’abandon et au délestage. Il y a des gens qui se disent que s’ils se
mettent à contempler le passé, ils peuvent d’une certaine manière en apprendre
quelque chose et résoudre les problèmes du passé. Il vous faut toutefois
comprendre que lorsque vous regardez le passé, vous êtes immanquablement
entrain de le regarder à travers des verres déformants. Quel que soit le
souvenir que vous en ayez, il ne correspond pas vraiment à la réalité. C’est
pour ça que les gens se disputent sur ce qui s’est passé, même il y a quelques
instants. Il est bien connu des policiers qui enquêtent sur les accidents de la
route que, même si un accident a eu lieu il n’y a qu’une demi-heure, deux
témoins oculaires différents, tous deux entièrement honnêtes, rapporteront des
faits différents. Notre mémoire n’est pas fiable. Si vous considérez un peu le
manque de fiabilité de la mémoire, vous n’accorderez alors aucune valeur à
ressasser le passé. Vous pouvez alors lâcher prise. Vous pouvez l’enterrer,
tout comme vous enterrez quelqu’un qui est mort. Vous le mettez dans un
cercueil, en terre, ou vous l’incinérez, et c’en est fini, terminé. Ne traînez
pas sur le passé. Cessez de trimballer sur votre tête les cercueils de moments
passés ! Si vous le faites, vous vous appesantissez de lourds fardeaux qui ne
vous appartiennent pas vraiment. Laissez aller tout ce qui est passé et vous
avez la possibilité d’être libre dans le moment présent.
Quant au futur, aux
anticipations, aux peurs, aux projets et aux attentes - laissez aller tout ça
aussi. Le Bouddha a dit une fois, au sujet du futur, « quoi que vous imaginiez,
ce sera toujours différent » ! Ce futur est connu des sages comme incertain,
inconnu et imprévisible. C’est souvent complètement stupide d’anticiper le
futur, et c’est toujours une grande perte de temps de penser au futur dans la
méditation.
Lorsque vous travaillez
avec l’esprit, vous trouvez qu’il est si étrange. Il peut faire des choses
merveilleuses et inattendues. Il est très commun que les gens qui vivent des
temps difficiles dans la méditation, qui ne connaissent pas beaucoup de calme,
soient assis à penser « Ça y est, encore une heure de frustration ». Bien
qu’ils commencent par penser ainsi,à anticiper l’échec, quelque chose d’étrange
se passe et ils entrent dans une méditation très calme.
J’ai récemment entendu
parler d’un monsieur qui faisait sa première retraite de dix jours. Après le
premier jour, il avait si mal dans tout le corps qu’il a demandé à rentrer chez
lui. Le maître a dit « restez un jour de plus et la douleur disparaîtra, je
vous le promets ». Il est donc resté un jour de plus, la douleur a empiré et il
a à nouveau voulu rentrer. Le maître a répété « un seul jour de plus et la
douleur disparaîtra ». Il est resté un troisième jour et la douleur était
encore pire. A chacun des neufs jours, le soir venu il allait voir le maître,
tout endolori, pour demander de pouvoir rentrer chez lui et le maître répondait
« juste un jour de plus et la douleur disparaîtra ». Ça a été de façon
complètement inattendue que, le dernier jour, à la première assise du matin, la
douleur a disparu ! Elle n’est pas revenue. Il pouvait passer de longues
assises sans aucune douleur du tout ! Il était stupéfait : ce que cet esprit
est merveilleux, et comme il peut produire des résultats aussi inattendus !
Donc, vous ne connaissez pas le futur. Il peut être si étrange, même bizarre,
complètement au-delà de toute attente. Des expériences comme celle-ci vous
donnent la sagesse et le courage d’abandonner toute pensée concernant le futur,
et aussi toute attente.
Quand vous méditez et
pensez « combien de minutes reste-t-il ? combien de temps encore dois-je
endurer ceci ? », ce n’est encore une fois que s’égarer dans le futur. La
douleur pourrait disparaître à tout instant. Le prochain instant pourrait être
l’instant de liberté. Vous ne pouvez tout simplement pas anticiper ce qui va
arriver.
En retraite, quand vous
méditez déjà depuis de nombreuses séance, vous pouvez parfois penser qu’aucune
de ces séance n’a servi à quoi que ce soit. À la séances suivante, vous vous
asseyez et tout devient très paisible et facile. Vous pensez « ouaah !J’arrive
enfin à méditer ! », et puis la méditation suivante est à nouveau horrible. Que
se passe-t-il donc ici ?
Mon premier maître de
méditation m’a dit quelque chose qui m’a paru, à l’ époque, assez bizarre.
Il a dit qu’une mauvaise méditation, ça n’existe pas ! Il avait raison. Toutes
ces méditations que vous appelez mauvaises, frustrantes et qui ne sont pas à la
hauteur de vos attentes, toutes ces méditations sont celles où vous travaillez
dur pour votre « chèque de paie »...
C’est comme une personne
qui va travailler toute la journée le lundi et ne reçoit pas un sou à la fin de
la journée. « Pourquoi est-ce que je fais ça ? », se demande-t-il. Il travaille
toute la journée le mardi, et toujours rien. Encore une mauvaise journée. Toute
la journée le mercredi, toute la journée le jeudi, et toujours rien après tout
ce dur labeur. Voilà quatre mauvaises journées d’affilée. Et voilà qu’arrive le
vendredi, il accompli exactement le même travail qu’avant et à la fin de la
journée le patron lui donne un chèque de paie. « Ouaah ! Pourquoi chaque jour
n’est-il pas jour de paie ? »
Pourquoi chaque méditation
ne serait-elle pas « jour de paie » ? Vous comprenez maintenant la comparaison
? C’est au cours des méditations difficiles que vous accumulez les crédits, que
vous produisez les causes du succès. En travaillant pour le calme pendant les
méditations difficiles, vous augmentez votre puissance, l’inertie vers le
calme. Puis, quand il y a suffisamment de crédits de bonnes qualités, l’esprit
entre dans les états de félicité.
Au cours d’une retraite
que j’ai donnée récemment à Sydney, pendant une période d’entrevues, une dame
m’a dit qu’elle avait été en colère avec moi toute la journée, mais pour deux
raisons différentes. Au cours de ses premières méditations, elle passait des
moments difficiles et elle était en colère avec moi parce que je ne sonnais pas
la cloche suffisamment tôt pour terminer la méditation. Au cours des
méditations suivantes, elle est entrée dans un bel état de paix et elle était
en colère avec moi pour avoir sonné la cloche trop tôt. Les sessions étaient
toutes de la même durée, exactement une heure. Il n’y a simplement pas moyen de
gagner comme maître en sonnant la cloche !
Voilà ce qui arrive lorsque
vous anticipez le futur, et pensez « Combien de minutes encore jusqu’à ce que
la cloche sonne ? » C’est là que vous vous torturez, où vous épaulez un lourd
fardeau qui n’est pas de vos affaires. Alors faites bien attention de ne pas
soulever cette grosse valise de « combien de minutes reste-t-il ? » ou «
qu’est-ce que je fais ensuite ? » Si c’est là ce que vous pensez, alors vous
n’êtes pas entrain de prêter attention à ce qui se passe maintenant. Vous
n’êtes pas entrain de faire la méditation. Vous avez perdu le fil et vous
cherchez des ennuis.
A cette étape de la
méditation, maintenez simplement votre attention dans le moment présent, au
point de ne même plus savoir quel jour on est ou l’heure qu’il est. Est-ce le
matin ? l’après-midi ? Sais pas ! Tout ce que vous savez c’est quel moment on
est juste là, maintenant ! De cette manière vous arrivez à cette belle échelle
de temps monastique où vous êtes simplement entrain de méditer dans le moment
présent, sans conscience du nombre de minutes qui se sont ´écoulées ou qui
restent à venir, sans même vous souvenir du jour qu’on est.
Une fois, comme jeune
moine en Thaïlande, j’avais même oublié quelle année c’était ! C’est
merveilleux de vivre dans ce règne hors du temps, un règne tellement plus libre
que le monde braqué sur l’horloge dans lequel nous vivons habituellement. Dans
ce règne intemporel, vous vivez ce moment-ci, comme tous les êtres sages qui
vivent ce même moment-ci depuis des milliers d’années. Ça a toujours été
simplement ainsi, pas autrement. Vous êtes entré dans la réalité de maintenant.
La réalité de maintenant
est magnifique et ébahissante. Quand vous avez abandonné tout passé et tout
futur, c’est comme si vous étiez enfin vivant. Vous êtes ici, vous avez
l’esprit présent. C’est la première étape de la méditation, rien d’autre que
cette présence d’esprit maintenue dans le présent uniquement. Arrivé jusqu’ici,
vous avez déjà accompli beaucoup. Vous avez lâché prise du premier fardeau qui
empêche la méditation profonde. Investissez donc beaucoup d’efforts pour
atteindre cette première étape jusqu’à ce qu’elle soit bien établie, solide et
ferme. Ensuite nous allons raffiner la conscience du moment présent jusqu’à la
prochaine étape : une conscience silencieuse du moment présent.
Source :
La suite par ici, sur le Dhamma de la forêt
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