Porter un regard critique et éclairé sur notre environnement est important même si nous ne devons avant tout pas quitter l'essentiel de notre vue....Écrivain prolifique, son œuvre est marquée par l'ésotérisme et elle a connu un succès important au cours des années 1960 et 1970.
Entre autres choses, il porta un regard critique sur l'histoire en essayant grâce à sa théorie de déterminer à 2150 années de distance les principaux événements à venir.
Quand il parle de l'Amérique ce n'est pas un prophète mais cela reste riche d'enseignements.
« Toute civilisation matérialiste présente les caractères
suivants : la peur de la mort et le triomphe du médecin, la peur de
manquer et une consommation accrue, la peur de l’immobilité et
l’avènement de la vitesse, la peur de la nuit et le culte de la
lumière. » Jean-Charles Pichon
Les Etats-Unis ne sont pas un pays comme
les autres. On croit bien connaître son peuple et son histoire. Sa
genèse est récente et le « régime de l’image » ne cesse de véhiculer les
icônes de sa « gloire » passée et présente. Première puissance
mondiale, il fascine les jeunes et poursuit tranquillement sa conquête
« soft » du monde. D’où vient cette facilité?
Quel est le secret de cette puissance
qui agace autant qu’elle ravit? Comment les Américains parviennent-ils à
concilier autant de contradictions, de conflits, d’impostures, de
cultures, de délires, de tragédies passées? Quelle croyance a été assez
forte dans l’histoire pour générer une telle volonté de puissance,
au-delà des épreuves et des guerres? Comment la montagne puritaine – la
« Cité sur la Colline » – a-t-elle pu accoucher d’une souris du nom de
Mickey, qui symbolise à la fois la force de la conquête et sa dérision
même?
Ces questions nécessitent un retour en
arrière que peut éclairer utilement l’œuvre du mythologue Jean-Charles
Pichon. Grâce à sa stimulante méthode, consistant à replacer les
évènements, les hommes et leurs créations dans le cadre général d’une
histoire universelle soumise aux divers mythes successifs, on peut
appliquer l’algèbre des mythes au modèle américain afin d’en sonder les
apogées et les déclins, de comprendre l’affrontement des différentes
croyances, d’évaluer l’impact des mouvements utopiques et l’importance
de certaines sectes. C’est à la lumière de ces vagues répétées de
croyances ou d’idéologies qu’on peut déchiffrer les mythes fondateurs
des futurs Etats-Unis et analyser les soubresauts des trois derniers
siècles. Comment passe-t-on de la théocratie puritaine au futur « Grand
Etat » qui semble renouveler la conquête romaine, 2100 ans plus tard?
L’Amérique, ce « Nouveau Monde »
pourtant si ancien, a été inventée avant même d’être découverte.
L’Amérique se présente d’abord comme un péché, voyage « sinistre » (vers
la gauche) débouchant sur la transgression d’un tabou spatial, celui du
soleil couchant. Puis, les mythes des Iles Fortunées identifient
l’Amérique au paradis terrestre, avant ceux d’Ophir et de l’Eldorado.
L’Age d’or du passé est réinstauré dans le présent. La découverte de
l’étrangeté américaine ouvre les portes de l’utopie. L’Amérique est
désirée avant même d’être trouvée. L’Europe la découvre parce qu’elle la
requiert. La « découverte » de Christophe Colomb n’est pas seulement
géographique; influencé par les mouvements millénaristes, Colomb se
convainc d’accomplir la prophétie de la diffusion évangélique avant la
fin du monde, imminente selon lui. Il inaugure les temps modernes,
préfigurant les futurs « colons », à la fois aventuriers et
évangélisateurs, qui fonderont les Etats-Unis, la Bible d’une main, l’Utopie de More de l’autre.
Les voyageurs de More, Campanella et
Bacon suivent la course de la lumière, de l’Est vers l’Ouest. Ces
« illuminés » projettent leur utopie sur un continent encore fantôme qui
va progressivement se peupler de communautés multiples, souvent
étranges, ambitieuses de trouver sur ce sol vierge la liberté qui leur
est refusée en Europe. De toute part, la providence semble désigner
cette « tabula rasa », sise à l’Ouest, futur havre de l’Evangile et de
la connaissance.
Les persécutés de la Réforme sont les
missionnaires à qui incombe la tâche de défricher les terres sauvages
(la wilderness) et de bâtir la Cité sur la Colline. Le « Nouveau Monde »
devient le lieu fantasmatique des nouveaux commencements, les Pères
Pèlerins s’identifiant au peuple d’Israël, et la Nouvelle Angleterre
devenant la nouvelle Canaan. L’Eden retrouvé est le berceau d’un homme
nouveau, l' »Homo americanus ». Les Puritains, le peuple du Bélier,
fondent leur théocratie sur la Loi, celle du Dieu vengeur de l’Ancien
Testament. De ces bases religieuses surgit naturellement le contrat
social calviniste, tandis que le mercantilisme accompagne la
sécularisation graduelle d’une société qui se fissure peu à peu.
D’autres dissidents – religieux toujours
– font entendre leur voix ou même créent leurs propres colonies
(Hooker, Hutchinson, Williams, Fox, Penn). De nouveaux venus
bouleversent l’ordre établi en ressuscitant le paganisme et en s’alliant
avec les Indiens, adorateurs du Taureau (Morton), tandis que les
tenants d’une autre voie spirituelle s’installent au sein de la
wilderness afin de guetter le millenium (Kelpius). Mais ces aventuriers
de l’esprit sont minoritaires.
C’est au XVIIIe siècle qu’est réalisée
la « prophétie grandiose » de la fondation des Etats-Unis. Les
francs-maçons (Washington et Franklin surtout) jouent un rôle essentiel
en introduisant les mythes républicains qui vont donner corps à la
constitution. Une sécularisation accrue ne réussit pas à gommer la
vocation « providentielle » d’une Amérique devenue déiste, sous l’œil
d’un Dieu bienveillant. L’indépendance se manifeste par le recours aux
symboles maçonniques (architecture, Grand Sceau) qui expriment un
« Nouvel Ordre des Temps ». On commence à comparer l’Amérique à l’Empire
Romain. Dans le même temps, on s’intéresse au système fédéral des
Iroquois et l’on va jusqu’à les associer aux manifestations politiques.
Une fois cette récupération achevée, les protestants, dont les ancêtres
n’auraient pu survivre sans le concours des tribus locales,
abandonneront les Indiens à un sort de moins en moins enviable.
Le XIXe siècle voit des millions
d’émigrants déferler de l’Est à l’Ouest, porteurs de fois diverses,
parfois délirantes. Le fossé se creuse entre le Nord républicain et
rationnel et le Sud nostalgique et hiérarchique, sans parler des
aventuriers de l’Ouest, les cow-boys dont le sens libertaire ne peut
s’accommoder du respect aveugle de la Loi. Ils seront décimés par le
rouleau compresseur de la Frontière, tout comme les Indiens.
C’est l’époque des grandes utopies,
politiques ou religieuses. Si la plupart échouent, elles laissent
pourtant une marque ineffaçable sur la mentalité et le paysage
américains. Les Shakers ont tracé une empreinte durable, les Mormons
finissent par gagner leur Etat, les Adventistes attirent des millions de
fidèles, les Transcendantalistes sont les premiers à redécouvrir
l’Orient, au grand dam des puritains, la Nouvelle Pensée guérit les
corps par l’esprit. Le concept de Providence cède la place à celui de
« destinée manifeste » du peuple américain (1845) pour devenir une
pierre angulaire de la politique américaine jusqu’à nos jours. Le modèle
américain est perçu comme le meilleur au monde; il échoit donc au
peuple élu la mission morale de répandre sa civilisation à l’intérieur
comme à l’extérieur des frontières américaines. Le Sud sera défait par
la République nordiste. Les Indiens seront les doubles victimes du mythe
de justice, du Bélier biblique à la Balance républicaine. C’est au nom
de ce principe « sacré » que les Etats-Unis s’engageront dans les deux
conflits mondiaux du XXe siècle.
Même s’il est quasiment impossible de
déceler une entreprise athée en Amérique, il demeure que la laïcisation
est générale. Le progressisme républicain a vidé la franc-maçonnerie de
son contenu opératif originel pour en faire une organisation sociale.
Les sectes ont été gagnées par le scientisme et rares sont celles qui
ont pu échapper à l’emprise de la théologie hébraïque. Quand elles
semblent se tourner vers l’autre voie, c’est pour la dévoyer dans un but
racial (Ku-Klux-Klan). Comme si les américains étaient « manifestement
destinés » à ressasser leur Jérusalem – au point de l’imposer au monde
entier. Après le génocide des Amérindiens, les Etats-Unis ne méritent
pas d’être la Jérusalem nouvelle, mais peut-être une nouvelle Rome.
Pourtant, même sécularisé et hébraïsé,
le « rêve américain » perdure, au-delà même des frontières, facilitant
l’entreprise expansionniste d’un peuple naturellement conquérant qui se
croit toujours investi de la grâce divine. Clinton exalte la New Promise
– la Nouvelle Terre Promise – aux Américains du XXIe siècle, démontrant
une fois encore que l’Amérique ne se ressource dans son vénérable passé
biblique que pour mieux éclairer son glorieux avenir progressiste.
Jean-Charles Pichon a-t-il raison
d’imaginer l’instauration d’un « Grand Etat Biblique » dont les maîtres
seraient les Wasps, les « Romains de demain »? Le « Grand Etat »
américain a déjà virtuellement conquis la jeunesse. Deviendrons-nous
demain une colonie américaine, veillant sur nous comme un « grand
frère » orwellien?
Lauric Guillaud
Bibliographie : Lauric Guillaud :
« Histoire secrète de l’Amérique », Ed. Philippe Lebaud, Paris, 1995
« La Terreur et le Sacré : La nuit gothique américaine », éditeur : Michel Houdiard (1 avril 2007)
Publié par Dajaltosa - Source : Jean--Charles PICHON
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